La méthode Agile échoue lorsqu’elle est appliquée de manière trop rigide, comme une recette prédéfinie. Pourtant, l’essence même de l’agilité repose sur la flexibilité et l’adaptation. Lorsque j’ai commencé à travailler sur des projets de développement chez Yahoo! en 2006, l’agilité faisait encore ses premiers pas en France. Mais déjà, ses valeurs de collaboration et l’énergie positive émanant des équipes de développement étaient bien présentes.
Être agile, c’est la capacité de s’adapter à son environnement, pas d’appliquer des règles sans en comprendre le sens.
Plus de 20 ans après la publication du Manifeste Agile, l’agilité, malgré son adoption croissante, peine encore à répondre aux attentes des organisations.
Dans cet article, nous allons explorer les raisons de ce décalage. Nous commencerons par déconstruire les mythes qui entourent la méthode agile, dont le piège du « cargo cult« . Ensuite, nous nous intéresserons aux visions produit et projet, souvent perçues comme opposées, pour révéler leur aspect complémentaires. Enfin, nous reviendrons sur les enseignements d’Alistair Cockburn et sur les éléments constitutifs du cœur de l’agilité.
Au programme :
1. La méthode agile : Mythe et Réalité
› L’illusion de la méthode agile
› Le piège du « cargo cult » agile
2. Vision Produit VS démarche Projet ?
› Démarche Projet : Cadre délimité et résultats attendus
› Vision Produit : Centrée sur les besoins des utilisateurs
› Deux approches complémentaires : rigueur ET adaptabilité
3. Le mot de la fin
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1. La méthode agile : Mythe et Réalité
L’agilité a bouleversé la manière dont les projets logiciels sont menés. Cependant, elle reste souvent mal comprise. Beaucoup d’entreprises continuent à la traiter comme un ensemble de rôles et de processus. C’est ce qui conduit inévitablement à des frustrations des équipes voire à des échecs du projet, parfois à l’échelle de l’entreprise.
Lors de mes accompagnements, plusieurs clients m’ont déjà expliqué que : « la méthode agile, ça ne marche pas chez nous« .
J’entends la déception, parfois la colère de ces personnes embarquées dans une transformation mitigée. Ma première réponse est souvent de rappeler que l’agilité ne dicte pas comment on doit travailler, mais avec quel état d’esprit.
› L’illusion de la méthode agile
Depuis la sortie du Manifeste Agile en 2001, l’agilité a réellement pris de l’ampleur en France. Cet engouement s’est cristallisé autour de Scrum notamment, le framework le plus pédagogique, avec une professionnalisation des formations et des parcours de certification. C’est ainsi que le malentendu a pris racine avec l’illusion d’une méthode agile.
L’agilité ne se résume pourtant pas à une simple méthode sur laquelle on se forme, se certifie, puis applique mécaniquement, le titre en main. Scrum, avec ses itérations courtes, ses rôles clairement définis et ses rituels timeboxés, a souvent été confondu avec l’agilité elle-même.
On assiste alors à une opposition simpliste entre les « méthodes classiques » et la supposée « méthode agile » incarnée par Scrum. En fait, cette vision est réductrice. Scrum est un framework, un cadre de travail, qui met en œuvre les principes agiles. Il ne définit pas l’agilité dans son ensemble. D’ailleurs, il ne prétend pas non plus réécrire les principes de gestion de projet de bout en bout.
Un des signataires du Manifest Agile Alistair Cockburn rappelle ainsi que :
« L’agilité, c’est être capable de s’adapter aux changements constants de l’environnement et de réagir avec créativité et intelligence. »
La véritable agilité est la capacité à s’adapter intelligemment, au bon moment. Je vois régulièrement des équipes qui suivent tous les rituels Scrum – daily meetings, sprints review, rétrospective et sprint planning – mais qui, paradoxalement, peinent à s’ajuster aux imprévus.
Ces équipes sont piégées par l’illusion que la méthode à elle seule suffit.
La clé de la réussite de l’agilité se trouve certes dans l’adaptabilité du produit et de son périmètre, mais également dans la capacité de l’équipe à remettre en question son propre fonctionnement.
L’application automatique des pratiques agiles ternit la réussite d’une transformation agile. Le sentiment d’échec s’accentue aussi par une mauvaise interprétation des rituels agiles, voire une forme de mimétisme que l’on appelle parfois « cargo cult ».
› Le piège du « cargo cult » agile
Le terme « cargo cult » fait référence à un phénomène de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, des indigènes de Mélanésie ont été émerveillés par les marchandises occidentales. Ces biens arrivaient par bateaux et avions.
Ne comprenant pas leur origine, ils ont cru que ces ressources étaient des cadeaux offerts par des dieux. Ainsi, ils ont observé les soldats et imité leurs comportements. Ils espéraient ainsi attirer à nouveau ces biens.
Ce mimétisme a donné naissance à de véritables cultes voués aux marchandises (« cargo » en anglais).
Le phénomène du « cargo cult agile » est l’un des pièges les plus courants dans l’adoption de l’agilité. Il s’agit d’adopter les pratiques agiles sans réellement comprendre les principes fondamentaux. Certaines équipes mettent en place par exemple des daily stand-ups ou utilisent des post-its sans réellement saisir l’objectif derrière ces rituels.
Elles font de l’agile en surface, sans en embrasser l’esprit.
Ces équipes se retrouvent à « faire de l’agile » sans vraiment « être agiles », ce qui conduit à un décalage voire une perte de sens.
Ce mimétisme crée une illusion d’une transformation agile, alors que les véritables principes ne sont pas appliqués et que les valeurs sont oubliées.
Il manque en effet le sens porté par la transformation des postures individuelles et collectives. Pour briser le cycle du mimétisme, les équipes et les dirigeants doivent adopter une compréhension profonde des valeurs agiles.
Ce changement culturel est la clé pour ouvrir la voie à une véritable agilité, authentique et durable.
Pour amorcer cette transformation, le management doit déléguer la responsabilité de la réussite à l’équipe, en lui accordant sa confiance, tout en restant à l’écoute de ses besoins.
2. Vision Produit VS Démarche Projet ?
› Démarche Projet : cadre délimité et résultats attendus
La vision projet est ancrée dans la gestion classique, avec un début, une fin et des objectifs clairement définis. Elle repose sur un périmètre précis, des délais et des budgets établis. L’objectif est d’exécuter un plan et de livrer un résultat tangible selon des critères prédéterminés.
La démarche projet est essentielle dans des contextes où l’incertitude doit être minimisée et où la prévisibilité est cruciale.
Nous mettons ainsi l’accent sur la gestion des risques, la planification détaillée et le contrôle rigoureux. Ces éléments sont particulièrement adaptés pour des projets à faible variabilité ou pour des processus industriels bien rodés, où chaque étape est définie à l’avance.
Cette démarche peut cependant devenir rigide, surtout lorsque le périmètre évolue en cours de route. Les équipes peuvent se retrouver à gérer des changements non prévus, entraînant des dépassements de budget et des retards de planning.
L’absence d’adaptabilité conduit également à négliger l’innovation et la créativité, éléments indispensables dans des environnements changeants.
› Vision Produit : centrée sur les besoins utilisateurs
La vision produit met l’accent sur l’évolution et la création continue de valeur pour l’utilisateur final. Ici, le produit n’est jamais véritablement « terminé ». Il est constamment amélioré et adapté en fonction des retours des utilisateurs ou des opportunités du marché.
L’objectif est de répondre aux attentes des utilisateurs de manière itérative.
La planification devient plus souple, et les priorités changent en fonction des retours d’expérience. La réussite se mesure à travers la satisfaction des utilisateurs et la valeur créée plutôt que par la conformité à un cahier des charges.
Cette approche est particulièrement adaptée aux environnements incertains ou très dynamiques. En effet, les hypothèses initiales peuvent rapidement devenir obsolètes.
Adopter le principe du
« Test & Learn« est une stratégie qui peut s’avérer
judicieuse.
On teste le produit dès que possible, même sous une forme partielle.
Grâce aux retours des utilisateurs, l’équipe apprend à ajuster sa solution pour mieux répondre à leurs besoins. L’entreprise s’offre ainsi la possibilité d’adapter sa roadmap pour apporter de manière régulière un maximum de valeur à ses utilisateurs.
Cette pratique, sans structuration adéquate a cependant une dérive si on avance sans objectifs clairs ni calendrier précis. Le risque est d’avoir des produits en constante évolution, sans jamais parvenir à une version finalisée.
› Deux approches complémentaires : rigueur ET adaptabilité
Plutôt que de les opposer, je préfère considérer la démarche projet et la vision produit comme deux facettes complémentaires menant à la réussite.
Une approche hybride permet de conjuguer la rigueur de la gestion de projet avec la flexibilité et l’adaptabilité indispensables au développement d’un produit innovant.
Ainsi, il est possible de livrer des produits de qualité tout en respectant budgets et délais calendaires. En parallèle, l’innovation autour du produit a toute sa place au fil des itérations de développement. Ces cycles permettent d’ajuster la solution en fonction des retours constants des utilisateurs ou des opportunités marché.
Le succès repose alors sur un cadre structuré enrichi d’une démarche orientée produit, où les solutions évoluent en fonction des retours et des priorités du marché. Cette synergie optimise les délais et les coûts, et surtout maximise la valeur générée pour les utilisateurs et les parties prenantes.
En définitive, l’articulation entre ces deux visions transforme une simple méthode en une réelle dynamique de création de valeur.
Le mot de la fin
L’agilité en tant que simple méthode agile à appliquer est un piège.
Elle représente avant tout un état d’esprit. C’est la capacité à s’adapter aux changements tout en maintenant le cap vers la satisfaction du client.
Pour réussir sa transformation agile, on peut s’inspirer de l’expérience des autres, sans tomber dans l’imitation ou le fameux « cargo cult » agile. Pour saisir le sens profond de l’agilité, je vous conseille de revenir aux fondamentaux : la collaboration, l’adaptation, la qualité des relations et un produit opérationnel.
L’une des réflexions les plus inspirantes autour de l’agilité vient de l’un des signataires du Manifeste Agile et auteur du concept de « cœur de l’agilité ».
Selon Alistair Cockburn, l’agilité repose sur quatre principes essentiels : collaborer, livrer, réfléchir et améliorer. Il nous invite à aller au-delà des frameworks pour se concentrer sur les interactions humaines et l’apprentissage continu.
Dans un prochain article, nous explorerons davantage cette notion du « cœur de l’agilité » et ce qu’elle signifie réellement pour les organisations et les équipes en quête d’adaptabilité et de performance durable.